I
Ansoumane
J’ai du mal à sortir du lit ce matin. Ma nuit a été courte. Je cherchais à maitriser quelques mots en anglais. Je me demande si je parviendrai à le faire. Il faut que je réussisse, sinon je ne pourrai pas commencer mes cours en Médecine.
Mon amie Binta m’encourage. Je l’appelle Koloun. Koloun ? Je sais que vous êtes curieux de savoir ce que cela veut dire. Ça ne veut rien dire. J’ai juste jeté une pièce dans l’eau et c’est le premier son que j’ai entendu. Quand j’avais à peine dix ans, on faisait souvent ce petit jeu pour donner les noms aux amis. Koloun est là depuis deux ans. Elle a eu son bac à 17ans avec mention excellente. Elle parle peu et a toujours son nez dans un livre.
Je sors finalement de mon lit. Je regarde ma montre, il est 10 heures. J’allume la télé et je me mets à zapper d’une chaine à une autre. C’est ennuyeux puisque je ne comprends vraiment rien, seulement quelques mots. C’est Pourtant ce qu’il faut faire. Regarder les chaines en anglais pour capter les nouveaux mots et apprendre leur prononciation. J’éteins la télé. Je prends mon téléphone et je me connecte sur American space pour suivre mon cours en Anglais des Affaires. Pas question de lâcher prise. Soudain, mon téléphone sonne.
- Allo, dis-je.
- Ansou ! Ansou ! dit mon amie, presque larmoyante.
- Koloun qu’est-ce qu’il y a ?
- Tu as vu les news ? demande-t-elle. Il y a une histoire de virus super contagieux qui passe aux infos. Le Coronavirus.
- Coro quoi ?
- Coronavirus, allume la télé s’il te plait.
- Tu m’effraies. Tu sais que je ne comprends pas la langue.
- Tu le devrais ou regarde les chaines en français. Va alors sur Facebook.
- Mauvaise source.
- Sois sérieux pour une fois. Tu peux regarder sur les sites d’infos.
- Donc, c’est sérieux à ce point.
Binta ne répond plus. Je me connecte.
Première ligne d’info : CRISE SANITAIRE, un virus a été détecté à Thioloun.
- Merdre! me dis-je. Koloun se trouve à Thioloun.
Je saisis mon téléphone et compose son numéro. A la première sonnerie, elle décroche.
- Ansou, tu as vu ?
- Oui Binta, j’ai vu. Je viens te retrouver.
- Tu penses que c’est une bonne idée ?
FIN DE LA PREMIERE PARTIE
II
BINTA
Je raccroche mon téléphone. Je suis tout à fait hors de moi. Et si Ansoumane chopait le virus en route. En même temps je tremble d’angoisse. J’essaye de me convaincre que je ne suis pas une personne infectée. Sauf qu’il y a deux jours, j’étais au grand marché. Selon les news, même les personnes ne présentant aucun symptôme peuvent être contagieuses. Je deviens sceptique. Rien n’est à exclure. Je n’ai même plus envie de regarder les photos sur internet, de lire les journaux. Chaque article me déchire le cœur. Chaque chiffre me traumatise. Mes doigts sur l’écran, j’ai envie d’envoyer un message à mes parents. Faut-il les inquiéter ?
Soudain, je vois des personnes portant des combinaisons, des masques et des gants de protection. On les reconnaît à peine. C’est sûrement des agents de santé. Ils portent des corps. Ensuite j’entends des cris de détresse par la fenêtre. Ils sont morts du virus. J’ouvre ma messagerie.
- Cc, lui dis-je.
- Oui ma puce.
- Je suis terrifiée, Ansou. On vient juste de sortir deux corps de notre immeuble.
- Mon Dieu ! Ça craint.
- J’peux pas rester ici. Je veux rentrer en Guinée, dis-je en larmes.
- Calme-toi ma puce. J’arrive d’un moment à l’autre.
- Je ne peux pas. Je crois que c’est moi qui dois venir, décide-je.
- Laisse-moi venir. Anyway, j’avais prévu de venir pour la fête.
- Non, dis-je catégorique. Tu pourrais être contaminé.
Je n’ai plus de réponse. Ansoumane n’est plus en ligne. Je lui envoie sans cesse des messages. Rien absolument.
J’ouvre mon placard et prend quelques affaires. Je les fourre dans mon sac. Je prends les escaliers en veillant à ma sécurité. Je ne veux pas croiser quelqu’un ni toucher les murs.
Les rues sont vides. Mon cœur bat si fort. J’ai l’impression qu’il va sortir de ma poitrine. Je ne sais plus si je suis triste ou si j’ai peur.
Je dois parcourir environ 500 km avant d’arriver à Sinayah. Cette distance semble une éternité pour moi. Dans la rue, les gens portent des masques. Tout le monde semble méfiant. Je n’ose même pas m’adresser à quelqu’un. Je parviens à trouver une place dans le bus. Nous ne sommes que dix passagers dans un bus de trente places.
En route, je suis toujours sur internet pour connaitre les nouvelles infos. On annonce déjà 700 cas contaminés. Une mise en quarantaine est en vue. Quelle misère, me dis-je ! Sur les réseaux sociaux, on peut lire :
RESTEZ OU VOUS ETES
PORTEZ DES MASQUES SI VOUS ETES MALADES
LAVEZ REGULIEREMENT VOS MAINS AVEC DE L’EAU ET DU SAVON
GARDEZ VOS DISTANCES
Cette situation est alarmante.
Aussitôt, la police signale à notre bus de ne pas passer et nous demande de retourner à Thiloun.
- Mince, me dis-je !
FIN DE LA DEUXIEME PARTIE
III
Ansoumane
D’après ce que j’ai vu aux infos, je n’ai plus le cœur tranquille. Thioloun semble être la ville la plus touchée et Binta est là-bas. Même si la peur m’habite, je vais la rejoindre quand même. Je veux retrouver la seule amie que j’ai dans ce pays. C’est elle qui m’a accueilli à bras ouvert sans la moindre hésitation. Il y a quelques mois, on ne se connaissait même pas. Nous avons été présentés au téléphone avant mon départ pour Thioloun par un ami commun. Après plusieurs semaines passées chez elle, j’ai rejoint Sinayah pour mes cours de langue. Mais, on se retrouve souvent malgré la distance.
Je me dirige vers la station de bus, située à 200 mètres de mon immeuble. Je suis en plein centre-ville. J’ai accès à tout, autour de chez moi, sans faire d’efforts. Mais cet après-midi, j’ai l’impression que le quartier est en guerre. Tout est fermé. D’habitude, c’est un quartier grouillant de vie. Je réalise que j’ai été coupé du monde pendant des semaines.
A la gare, les gens forment une longue queue avec un espacement d’un mètre entre les personnes. Tout le monde porte des masques. Je les imite en m’en procurant un de la main d’un agent de sécurité. Je sors les pièces de monnaie et les lui tends.
- No, it is free, me dit-il
- Thank you, dis-je.
- Follow the queue please, m’ordonne-t-il.
Je m’exécute en me mettant au bout de la file. Les bus sont alignés. Ils embarquent cinq personnes par bus, pas plus. Il y a un agent à l’entrée du bus pour prendre les températures. Je remarque que certaines personnes ne montent pas dans les bus. Elles sont mises de côté. Je ne sais pas ce qui se passe. Je ne comprends pas ce qui se dit autour de moi.
Je sors mon téléphone de ma poche et ouvre mon dictionnaire pour être sûr de poser la bonne question.
- Why don’t they get on the bus? Demandé-je
- They have a temperature above 38°.They seem to be infected by the virus.
Toujours avec mon dictionnaire, je cherche la définition de chaque mot. Je finis par comprendre que ces personnes sont suspectées d’être contaminées jusqu’à ce qu’un dépistage soit effectué. Je me connecte pour mieux comprendre ce terrible virus. Je tape coronavirus dans le moteur de recherche.
Avec toutes les informations que je lis sur son mode de contamination et le nombre de personnes déjà infectées et mortes, mon inquiétude grandit. Qu’est-ce que je fais ici alors ? me demandé-je.
Soudain, quelqu’un éternue dans le groupe. …
Je me retrouve dans ma chambre cherchant plus ou moins à joindre Binta. Je ne sais comment ni quand j’ai atterri dans ma chambre mais je me rappelle avoir détalé comme un lapin et j’ai pris au moins deux douches.
On sonne à la porte. J’accoure.
IV
BINTA
J’arrive enfin à Sinayah après sept ou neuf heures de route. Je ne sais plus combien de temps le voyage a duré. Après que notre bus a été bloqué par la police en nous demandant de retourner à Thioloun, j’avais perdu tout espoir. Tous les déplacements d’une ville à une autre ont été interdits. Cela aiderait à contenir le virus. Nous devions alors retourner à Thioloun. Mais, quand les infos ont annoncé l’évolution du nombre de cas infectés en quelques heures à Thiouloun, la panique s’est installée. L’idée de retourner effrayait tout le monde. Ensuite, ils ont annoncé le confinement avec entrée en vigueur dans les vingt-quatre heures suivant l’annonce. Quelle mesure drastique ! Nous avons alors décidé de rester sur place. Il y avait des maisons à côté mais personne n’était prêt à nous recevoir. Décidément, on devait dormir à vue comme les SDF. Un policier eut la magnifique idée d’installer un camping. Il y avait bien un espace vide à utiliser. C’était une superbe idée mais pas pour moi. Je voulais coûte que coûte rejoindre Sinayah. Je ne savais pas ce qui était arrivé à Ansoumane. Il ne connaissait pas la ville.
Nous nous sommes assis au sol en attendant l’installation du camping. Un resto mobile a commencé à distribuer la nourriture. C’est en ce moment que j’ai ressenti la faim tellement l’angoisse était au creux de mon ventre. J’ai pris un plat et je l’ai mangé aussitôt.
Quand j’ai entendu que le resto mobile retournait à N’bâ, à 20 km de Sinayah, j’ai presque pleuré de joie. Mais comment j’allais faire ? Je regardais du coin de l’œil le monsieur qui servait la nourriture réfléchissant sur comment l’aborder. Je l’épiais presque. A chaque fois, je surprenais son regard comme s’il lisait dans mes pensées. Je me suis levée et me suis dirigée vers lui. A un mètre, je lui ai demandé :
- Could I get more, please?
- Sure!
Il m’a donné un autre sandwich emballé. Au lieu de retourner à ma place, je suis partie m’adosser au bus. Alors que je commençais mon sandwich, je l’ai vu se diriger vers moi. Mon cœur s’est mis à battre.
- How may I help you? demanda-t-il.
- What do you mean by that? Fis-je semblant de demander.
- I caught you staring at me.
J’ai regardé autour de moi faisant l’air innocente. Mais ce n’était vraiment pas le moment. Je voulais partir à Sinayah et le monsieur savait déjà que je voulais lui dire quelque chose. Autant en profiter.
- I would like to go to Sinayah, dis-je. Could you please help me?
- Are you serious? demanda-t-il.
- Very serious. I can’t stay here. Please!
- Forget that idea, dit-il en s’éloignant.
Désespérée, j’ai remballé le sandwich. Je n’avais plus d’appétit. Les idées se bousculaient dans ma tête : « Peut-être que je peux m’accrocher en dessous de ce bus. C’est très dangereux et possible que dans les films. Ou monter sur le porte bagage au-dessus du bus. Non, je serais vue. M’accrocher peut-être à l’arrière du bus en grimpant sur le pare-chocs. Encore non. Que faire maintenant ?».
- Would you mind helping me collect garbage? m’interrompit-il.
- I am not a sweepeer, rigolai-je, but I don’t mind.
- Let’s go ! dit-il en souriant.
Il m’a tendu les gants que j’ai enfilés. Nous avons ramassé toutes les jetables et les avons emballés dans les sacs poubelles. Au fur et à mesure, on les classait dans le bus. Il m’a demandé de monter à l’intérieur pour bien arranger. Soudain, la porte s’est refermée sur moi. J’étais dans une obscurité totale et n’entendais que le bruit du moteur.
- What a funny way to help someone! dis-je.
- I am just trying to help, répondit-il.
- Safe journey! poursuivit-il.
Plus loin, il s’est garé et a ouvert les fenêtres. Je parvenais à respirer à présent. Après plusieurs arrêts, nous sommes enfin arrivés à N’bâ. Il m’a fait porter un uniforme que je trouvais ridicule. Je ressemblais aux éboueurs. Je l’ai aidé à descendre les ordures. Il m’a demandé de monter devant et m’a raccompagnée à Sinayah.
C’est un ange qui a été envoyé par Dieu. Après lui avoir dit une tonne de mercis, je me dirige chez Ansoumane. Je frappe à la porte. Il ouvre. Mon ami est surpris de me voir mais il n’arrête pas de sourire. Il est presque embrouillé. Je me tiens à un mètre de lui et je n’ai même pas envie de m’asseoir.
Il faut qu’on rentre en Guinée, lui dis-je subitement.
V
Ansoumane
J’ouvre la porte et découvre mon amie Binta. Je suis à la fois surpris et content. Quel exploit d’avoir réussi à quitter Thioloun ! Alors que je viens juste de fuir à cause d’un éternuement. Honteux mais sensé non ?
Je veux la prendre dans mes bras mais, corona m’empêche. Quelle sale maladie !
Sa phrase « Il faut qu’on rentre en Guinée » résonne encore dans ma tête et me laisse perplexe. Que devient mon rêve de devenir médecin ? Retourner en Guinée signifie claquer la porte à tout. Je fixe Binta dans les yeux comme si j’essayais de la convaincre d’abandonner cette idée. Justement, c’est ce que je fais en lui disant:
- On peut bien rester ici et se protéger.
Mais, elle est ferme. Elle ne veut même pas s’asseoir. Je la comprends. Le silence règne et son impatience me trouble.
- Je crois qu’on doit réfléchir avant de faire quoi que ce soit, lui dis-je finalement.
- Le confinement commence dans quelques heures à Thioloun, répond-elle, on n’a pas de temps à perdre.
- Le voyage se prépare Koloun. On n’a même pas de billets.
- Ça s’appelle urgence. On trouvera les billets, répond-elle sèchement.
Avec son téléphone, Binta cherche à acheter les billets en ligne. Debout à un mètre de moi, je sens à travers ses chuchotements qu’elle est loin de les obtenir.
- Je crois que j’ai besoin de prendre une douche, dit-elle.
- Tu aurais dû commencer par ça, dis-je soulagé.
Elle se dirige vers la salle de bain. Quant à moi, je commence à nettoyer les poignées de la porte et le paillasson.
Par la fenêtre, les bruits chez les voisins me parviennent. Ils sont devenus trop bruyants depuis que leurs enfants ne partent plus à l’école. Un oiseau volant autour de l’immeuble attire mon attention. Je l’observe longuement. Il n’arrête pas de rôder autour comme s’il avait un message à transmettre. Ou peut-être qu’il est étonné que notre quartier soit désert et attristé. Mes pensées tournent dans ma tête. Je peine à me décider. Partir ou ne pas partir ?
Binta revient quelques minutes plus tard et recommence les recherches. Cette fois, je m’assois à côté d’elle. Nous passons des heures à chercher. Rien……
Quatre jours se sont écoulés, nous continuons les recherches. Les vols se raréfient et le billet coûte une fortune. Comment avoir un billet à la mesure de nos moyens ?
A Thioloun, tout va vite. Le nombre de contamination et de morts augmente. Il est ordonné à une seule personne dans un foyer de sortir avec un ticket pour faire des courses. A Sinayah, les gens se sont auto-confinés par peur d’être contaminés. On lit aux infos que d’autres pays ont signalé des cas d’infection à travers les voyageurs.
Binta semble désespérée mais décidée. Mieux vaut être aux côtés des siens, se dit-elle. Je le pense aussi. Mais, Koloun à mes côtés me suffit. Je vois que c’est le contraire chez elle. Cela me blesse, mais je préfère garder ça pour moi.
Elle appelle enfin son bienfaiteur qui l’avait conduite à Sinayah. Elle obtient une bonne nouvelle. Il doit nous conduire à la frontière qui sépare Sinaya de Leïrro. Leïrro est un pays que je connais de par des images à la télé. L’occasion de le découvrir est tentante mais je ne suis pas encore sûr. Le départ est prévu pour l’aube. On fera les serveurs et ensuite, on se débrouillera.
- Que de bonnes nouvelles ! dit Binta
- Par rapport à quoi encore?
- J’ai trouvé deux billets en ligne à moindre coût. On prendra le vol à Leïrro pour Kankanalo.
Je secoue la tête et dit :
- Koloun, je veux qu’on patiente. On a bien dit que nous devons rester confinés pour nous protéger et protéger les autres.
Je vois de la colère se dessiner sur son visage.
Ok, tu peux rester. Moi je m’en vais. Me dit-elle.
VI
Binta
Enfin nous sommes prêts à partir, à fuir cet ennemi invisible. Je suis contente qu’Ansoumane se soit enfin décidé. Je crois que le nombre de morts qu’il a vu à la télé, la veille, ainsi que le rapatriement des ressortissants des autres pays vivant à Sinayah lui ont fait changer d’avis.
Entassés entre les cartons, nous percevons le bruit du moteur. L’odeur du désinfectant mêlée à celle de la nourriture empeste le bus. A chaque fois que je respire, je la sens encore très forte.
Nous ne pouvons pas ouvrir les fenêtres, car dit-on le virus se trouve dans l’air. Est-ce vrai? Aucune idée. Depuis le début de la maladie, on entend et lit plusieurs versions sur le mode de contamination. On ne sait plus que croire. Le monde entier est traumatisé et affaibli. C’est un ennemi redoutable. Nous sommes attaqués sans s’y être préparés.
De temps en temps, le vent se faufile entre les petits trous se trouvant sur le toit du bus et me donne une sensation de réconfort. On avance rapidement. Recroquevillée entre les cartons, je ressens la fatigue. Plus je la ressens, plus la peur d’avoir attrapé la maladie m’angoisse. Il est midi quand nous arrivons au point de contrôle. Victor, le propriétaire du resto mobile présente son laisser-passer.
– This is okay, lui dit le policier en lui rendant le document. I just want to check the bus.
– There is nothing suspicious.
– I need to check. Open the door, please.
Ansoumane écarquille les yeux. Il a bien compris que le policier veut vérifier l’arrière du bus.
– On est foutu, lui chuchoté-je à l’oreille.
– Reste calme ! dit-il.
Quand la porte s’ouvre, je serre fort la main d’Ansoumane. Le contrôleur demande à Victor de dégager les cartons du milieu pour qu’il puisse accéder au fond.
– It’s hard and long to remove all the boxes, dit Victor, because I am alone and have to reach the boarder before 1 PM.
– I am doing my job.
Victor commence à enlever les cartons. J’ai juste envie de sortir par la fenêtre et m’enfuir dans la forêt. Pour la deuxième fois, j’ai l’impression que mon cœur va sortir de ma poitrine. Je tremble. La sueur dégouline sur le front d’Ansoumane. Je vois bien qu’il tremble lui aussi. Victor risque la prison et nous risquons de rester là et de payer une amende. Les lois sont strictes ici. Pauvre Victor ! Je n’aurais pas dû l’embarquer dans cette histoire. Petit à petit, le chemin menant à nous se libère. Victor parle au policier mais je n’entends que des murmures tellement mon esprit est occupé par les prières. Je ne cesse de réciter des versets. Si je pouvais devenir magicienne pour juste disparaître. Un téléphone sonne. Heureusement, c’est celui du policier. Il descend du bus. Deux minutes après, j’entends encore des murmures. Je comprends que Victor reclasse les cartons. Ouf ! quel soulagement !
Une heure après, nous arrivons à la frontière, bondée de policiers. Ansoumane est silencieux. Nous enfilons les tenues du resto mobile et commençons à débarquer les cartons. Quand nous dépassons la ligne, Victor nous demande de ne plus revenir sur nos pas. Nous devons de suite nous débarrasser de ces tenues. Je me dirige aux toilettes. Ansoumane me suit. Nous jetons les tenues dans les toilettes et ressortons comme si de rien n’était. Nous nous mêlons aux autres passagers. Nous sommes dignes des acteurs d’un film. Nous faisons désormais partie des gens qui doivent rejoindre l’aéroport de Leïrro. Tous, le visage et le nez cachés, nous formons une queue de plus 50 mètres. Distanciation sociale oblige. On nous prend nos températures et on se lave les mains avant embarquement. Dans le bus, on respecte aussi la distance. Je jette un regard sur Ansoumane qui me sourit enfin. Nous nous mettons en route.
Je n’ai jamais vu un paysage aussi beau. L’air est plutôt limpide, très différent de celui des grandes villes. Heureux sont ceux qui vivent à la campagne. Ici, les gens vaquent à leurs affaires sans se soucier du virus.
Nous arrivons à l’aéroport de Leïrro, deux heures plus tard.
Sur les panneaux d’information on lit :
Portez toujours vos masques.
Si ce voyage n’est pas nécessaire, retourner chez vous. La compagnie vous remboursera.
N’oubliez pas de nettoyer vos mains avec le gel hydro-alcoolique avant l’embarquement.
Nous tenons compte de la santé de nos clients.
Bon voyage
Après les contrôles de température, l’embarquement des passagers commence. Le vendeur en ligne nous a trouvé deux places dans un vol spécial qui devait ramener les ressortissants de Kankanalo dans leur pays. Même si ce n’est pas notre destination, c’est mieux que rien.
Après neuf heures de vol, nous débarquons à Kankanalo. Vu le mouvement à l’aéroport, nous comprenons que c’est un pays touché par le virus. A travers une annonce, on nous apprend que nous devons rester en quarantaine pendant 14 jours. Et moi qui voyais déjà mon pays au bout de l’horizon. Je pense qu’on n’y arrivera jamais.
VII
Ansoumane
Nous sommes plantés devant le panneau d’affichage de l’aéroport, totalement hébétés. L’annonce ne cesse de passer. Nous sommes obligés de rester à Kankanalo, pendant 14 jours. Tout dépend de notre état de santé. Je vois bien que Binta est désespérée. Je lui envoie un sourire d’encouragement même si au fond, cette situation me fait perdre mes forces. Je veux rentrer aussi. Pas pour fuir le virus. Je ne veux pas avoir l’air d’un fugué qui s’envole tout de suite face un obstacle. Non ! Je crois que fuir n’est pas digne d’un futur médecin. Je dois avoir à l’idée que je suis un soldat qui doit aller en guerre sachant qu’il peut mourir à n’importe quel moment. Oui, c’est ce qu’il faut faire. Je veux aider mon pays à lutter contre le virus.
Nous nous dirigeons vers un bâtiment somptueux mais plutôt sympa et accueillant. Les jeunes volontaires nous aident à nous installer. Nous trouvons d’autres personnes assises, le visage pâle révélant des âmes apeurées. On nous distribue des questionnaires à remplir pour pouvoir nous répartir en groupe. Des contrôles de température. Des prélèvements. Ensuite, des entretiens avec les agents de santé.
- Bonjour Monsieur Camara, dit l’agent en face de moi.
- Bonjour ! dis-je.
- Selon vos réponses aux questionnaires, vous avez l’air d’aller bien mais on veut être sûr.
Mon cœur commence sérieusement à battre. J’avoue que c’est assez traumatisant.
- Dans quel pays vous avez été ces derniers jours ?
- Je suis partie de Sinayah où j’habite. J’ai pris le vol à Leirro pour ici.
- D’accord. Est-ce que vous avez des antécédents cliniques liés aux problèmes respiratoires.
- Pas que je sache.
- Est-ce vous avez mal à la tête ?
- Non !
- Vous toussez ?
- Non !
- Vous ressentez une grosse fatigue ?
- Non !
- Pour le moment, vous ne présentez aucun symptôme, mais vous connaissez les mesures prises pour enrayer l’épidémie. Le gouvernement a décidé d’imposer une quarantaine à tous les voyageurs, même ceux qui sont en transit. Nous allons vous isoler. S’il vous plaît, ne tentez pas de fuir. Si vous avez un membre de votre famille avec qui vous avez voyagé, vous pouvez le signaler. Nous allons vous mettre ensemble dans un même appartement avec des chambres séparées si la personne ne présente pas de symptômes.
- J’ai ma cousine, elle s’appelle Binta Kaba.
- On va la chercher.
Ils reviennent avec Binta quelques minutes plus tard. On nous installe.
- Les résultats arrivent demain, nous annonce l’agent.
En attendant nous devons rester forts, me dit Binta. Mes lèvres s’élargissent pour me voler un sourire quand je pense que je l’ai appelée ma cousine.
- Qu’est ce qui te fait sourire ? demande Binta
- C’est un secret.
- Je ne m’amuse pas. Je suis assez angoissée.
- Tu devrais sourire un peu non.
- Pas avant les résultats.
- Donc quand tu as dit que nous devions rester forts, c’était juste pour bluffer ? dis-je.
- Arrête !
- Souris un peu ma cousine.
- Je vois maintenant. C’est pourquoi l’agent avait dit : « Bonjour, nous sommes à la recherche de Mademoiselle Binta Kaba, la cousine de Monsieur Camara Ansoumane » Tu es terrible.
- Qu’est-ce que tu veux que je dise ?
- Rien, sorcier.
Nous rions. Un peu de réconfort dans nos cœurs.
Je me connecte pour lire les infos. C’est terrible ! Des centaines de morts à Thioloun en 24 heures. Pompes funèbres débordées. Familles dévastées en pleurs. Je crois que Binta lit le même article. Nous échangeons des regards inquiets.
La nuit est très courte. On imagine pas mal de scénarios sur les résultats du test.
Quand le jour se lève enfin, l’impatience nous ronge. Ce n’est qu’à 10 heures qu’on nous informe que nous n’avons pas le virus, mais que nous devons quand même rester en quarantaine.
Un bus nous prend pour un autre endroit. On nous donne des thermomètres.
Ici, nous sommes autorisés à nous promener dans la cour en portant des masques et en respectant la distanciation physique de deux mètres. La cour est très grande et la plage à quelques mètres est magnifique. Pour la première fois, je découvre une eau bleue et glaciale comme l’océan atlantique que je n’ai vu qu’à travers des images dans les livres de géographie. En Guinée, les plages sont plutôt polluées par les déchets. Je n’ai souvent pas envie de me baigner. A voir celle-là, je veux juste plonger. La brise est si douce sur la peau.
Les enfants, ces êtres innocents jouent dans la cour comme si de rien n’était. Ils ne connaissent pas la gravité des choses. Que c’est beau d’être enfant !
Plusieurs jours passent, on communique nos températures régulièrement. Nos repas sont déposés devant la porte.
Au dixième jour, je commence à avoir de la fièvre, une petite toux et des maux de tête. C’est comme un rhume. Binta m’encourage à le signaler aux agents de santé. Ce que je fais. Aussitôt, on me met dans une autre chambre. Ensuite des prélèvements. Résultats dans quelques heures.
- Covid, m’as-tu eu ? me demandé-je les yeux au ciel.
VIII
Binta
Je marche de long en large, nerveuse. Je consulte à chaque fois le téléphone. L’attente est pénible. Jamais les heures n’ont été aussi longues de toute de ma vie. J’ai juste l’impression que le temps n’avance pas. Depuis qu’ils ont placé Ansoumane dans un autre endroit, aucun retour.
Quand je lis les infos, la courbe de la maladie montre que la catastrophe se passe dans le monde entier. Sur la petite télé accrochée au mur dans ma chambre, on voit des rues sans vie, même dans les villes les plus peuplées. Chaque pays a adopté le confinement qui semble être la meilleure solution de protection pour le moment. Coronavirus ne fait pas que prendre des vies, il laisse aussi des miséreux : chômeurs sans emplois, familles sans vivres. Des sans-abri n’ayant que les rues pour dormir et vivant dans les poubelles sont les plus malheureux. Oh Coronavirus ! Fais une trêve, je t’en prie, me dis-je.
J’envoie un message à Ansoumane. Dix minutes s’écoulent sans réponse. Je renvoie un autre message : « tu es là ? ».
- Oui, ma puce, répond-il finalement.
- Comment ça se passe ?
- J’attends que l’agent revienne avec les résultats.
- D’accord. Garde tes forces.
- Si je suis atteint de ce…..truc
Sa voix se perd dans un sanglot retenu à la gorge. Je ne parviens pas à retenir mes larmes.
- Ne désespère pas. Dis-je. N’oublie pas que tu es un soldat.
Il ne répond plus. Est-il en train de s’effondrer ? Je me connecte et lance un appel vidéo. Après plusieurs tentatives, il répond. La main devant les yeux, il refuse de me regarder comme s’il me cachait son désarroi.
- Alors, tu tiens le coup ?
- J’essaye.
- Sois fort mon soldat.
Nous sommes interrompus par l’arrivée de l’agent de santé. Sans couper l’appel, il démarre la conversation.
- Je vous écoute, dit Ansoumane.
- Camara vous avez été testé positif au Covid-19, dit l’agent.
Mon cœur se brise en mille morceaux. C’est à cause de moi qu’Ansoumane a quitté Sinayah. S’il était resté dans son petit studio, il n’aurait pas été contaminé par ce virus. Et moi, pourquoi j’ai voulu partir d’ailleurs ? J’ai juste été traumatisée par des chiffres, des morts, des contaminés et du fait qu’aucun membre des familles n’est autorisé à enterrer ses morts. Au péril de ma vie, j’ai voulu rentrer voir ma famille et mon petit bout de chou que j’ai eu à 14 ans après avoir été violée. La violence est tout ce que j’ai connu : de la mutilation au viol. Des blessures que je suis parvenue à guérir après bien des années.
- Votre état n’est pas aussi grave, poursuit l’agent. Une visite régulière sera faite pour observer l’évolution de la maladie. Par chance, vous pourriez guérir au bout de quelques jours. Vous devez juste rester à la maison et vous reposez.
Il ne précise aucun traitement à faire. En plus, ce sale virus n’a pas de traitement ? Me dis-je.
Maintenant que j’y pense, j’ai bien envie de lui rendre les coups qu’il inflige au monde.
Soudain, j’entends des bruits à la porte. Je cours ouvrir, les mains tremblantes. Deux agents en combinaison sont en face de moi. Ils m’annoncent qu’ils sont là pour le prélèvement. Je me laisse faire. L’un insère un écouvillon dans mes narines. C’est atroce ! A part mes doigts, rien n’était auparavant rentré dans mon nez. Je me rappelle encore ma mère qui me disait que c’est une mauvaise habitude. Je lui donne raison à présent, avec cette maladie, on ne doit pas toucher son nez à plus forte raison introduire ses doigts dans les narines. On ne doit pas toucher le visage ni les yeux. Est-ce qu’à un moment Ansoumane aurait eu la maladresse de le faire alors qu’on était en route ?
L’autre agent prend ma température. En tant que personne contact, je dois aussi rester en observation. Au moment où les agents tournent les talons, je les interpelle.
- Est-ce que je peux rester avec mon cousin ? demandé-je.
Ils échangent des regards.
- A une condition, dit l’un des agents.
- Je suis prête à tout.
- Respecter les gestes barrières. La distanciation physique, le masque et le lavage régulier des mains. A cette condition, tu peux t’occuper de ton cousin. Il en aura besoin.
Le soir même, Ansoumane revient dans notre appartement tenant un carton à la main.
- Qu’est-ce que tu traînes ? demandé-je.
Sans me répondre, il dépose le carton par terre. Il l’ouvre et commence à sortir son contenu.
- Un paquet de paracétamol qui aiderait à calmer la fièvre, dit-il la voix affaiblie par le masque. Un thermo flash pour communiquer régulièrement ma température. Des serviettes et couvertures en papier pour une utilisation unique. Des couverts et assiettes jetables.
Les choses sérieuses commencent. Quand je regarde Ansoumane, je vois bien qu’il est anéanti. Il reprend son carton et rentre dans sa chambre.
Dès le lendemain, nos vies changent. Ansoumane n’est pas sorti de sa chambre. D’habitude, on se retrouve le matin pour prendre le thé. On s’amuse même à être le premier à servir l’autre. La maison est tellement triste. Et cela me brise le cœur. Je frappe à sa porte.
- Ansoumane ! Ansoumane ! dis-je
- Koloun !
Je souris.
- Tu me laisses te voir ?
- Bien sûr ! laisse-moi juste finir le nettoyage.
- Je peux t’aider, tu sais ?
- Pas question.
- D’accord. On pourrait déjeuner ensemble ? Chacun à l’autre bout de la table.
- Je ne préfère pas.
Les consignes sont strictes. Chacun reste dans sa chambre.
Dix minutes après, les volontaires arrivent avec le petit déjeuner. Je profite pour déposer son assiette. Je le trouve assis dans son lit, la tête baissée, les mains croisées. Je retourne dans ma chambre et tombe dans mon lit en pleurs.
Une semaine s’est écoulée, rien ne va pour Ansoumane. Il ne sort presque plus de son lit. Ce qui me brise c’est qu’il est devenu silencieux. Souvent, à travers un appel vidéo, je lui raconte des histoires drôles pour le faire rire et lui faire oublier son état. Comme on le dit, nos malades ont besoin de nous pour être forts et ne pas tomber dans la dépression.
Ce matin, avec le désinfectant spray, je nettoie sa chambre.
- Avec quoi tu nettoies ? demande-t-il
- Du désinfectant, réponds-je amusée.
- Tu es sûre ?
- Tu me fais rire avec cette question. Tu ne sens pas l’odeur ?
- Absolument pas.
- Oh mon Dieu ! tu as perdu l’odorat ?
- Je crois que oui.
- Tu vas t’en sortir.
- Je ne veux pas de pitié. En sortant, pars avec ce repas s’il te plaît. Il n’a aucun goût, dit-il en se levant.
Au bout de quelques pas, il est essoufflé. Je me sens mal à ne pas pouvoir l’aider. Soudain, mon chronomètre sonne. Le quart d’heure autorisé pour rester avec lui est écoulé. Derrière la porte, je l’entends tousser au point de vomir et il pleure.
IX
Ansoumane
Adossé au mur, je tousse jusqu’aux larmes. Je suis complètement épuisé. Eh oui ! C’est ma routine, ces pleurs, cette toux, ces maux de gorge, cette fatigue interminable, ces douleurs musculaires. Heureusement que je parviens à respirer même avec le masque. C’est dur de le porter tout le temps, mais c’est le prix à payer pour protéger Binta qui ne me quitte pas. Elle revient toutes les deux heures dans ma chambre en me disant :
- Pour le quart d’heure autorisé.
Cela me fait sourire. Je ne sais pas ce que je ferais si elle n’était pas là.
Voilà plusieurs jours que je ne sors plus de ma chambre. A travers les fenêtres qui ne se ferment plus, je respire au moins de l’air frais. C’est ce que le médecin a recommandé : un espace bien aéré. Je lave régulièrement mes mains et tout ce que je touche est dédié à la poubelle. Chaque matin, je communique ma température et un médecin me rend visite pour faire le point sans me toucher. Mais, je ne cesse de désespérer avec mon état qui ne s’améliore pas. Mon seul espoir est ce problème respiratoire que je n’ai pas. Apparemment, c’est la seule complication qui pourrait me conduire à l’hôpital. L’idée de mourir ne me quitte pas. Tous les matins, je me réveille avec la peur. Elle pèse lourd sur mon cœur. Par internet, je joins ma famille mais je n’ai rien dit de mon état et pourtant je fais presque mes adieux.
- Maman, sache que je t’aime et j’ai tellement envie de te revoir, dis-je. Tu sais, au cas où je ne serais plus là, je souhaite que tu……
- Qu’est-ce que tu veux dire par au cas où je ne serais plus là, m’interrompt-elle.
- Juste comme ça. On ne sait jamais.
- Tu es devenu lamentable ces derniers temps et tu me fais peur mon garçon.
- Tu n’as rien à craindre, maman.
- Tu pourrais quand même mettre la vidéo pour que je te voie. Juste pour être sûre, mon cœur.
Alors, je mets la caméra et fournis tous les efforts pour ne pas qu’elle sente que je suis malade. Mais, cette question « tu es sûr que tu vas bien » revient toujours sur ses lèvres.
- Je vais bien maman.
- Mon bébé, tu as l’air malade.
- Comment ça se passe en Guinée ? demande-je pour changer la conversation.
- Ça craint. Les gens ne sont pas convaincus de l’existence de la maladie alors qu’on est à 3 cas. L’Etat a fermé les frontières.
- Vraiment ? S’il pouvait voir ce qui se passe ailleurs. Ici, les frontières, les aéroports et les gares sont fermés. Nous allons devoir rester, je ne sais pour combien de temps.
- Ça ira, le monde reprendra ses habitudes. Nous allons surmonter cette crise.
- Incha’Allah !
Ce jour, je regarde la nature à travers la fenêtre. Le ciel est beau et on sent que l’été approche. Il est dit que le virus ne résisterait pas à la chaleur. Sauf que je viens de lire que c’est une fausse théorie. Tellement de fausses informations depuis le début de la maladie. Parfois, cela fait du bien d’y croire, ça donne une lueur d’espoir.
Je retourne dans mon lit où je me blottis.
Je marche le long de ce couloir silencieux, éclairé par les lumières vives. Il est si long que je n’en vois pas le bout. J’avance. Des agents de santé montent et descendent. D’autres poussent des malades sur des lits roulants. En voilà un qui vient s’effondrer contre le mur. On sent l’épuisement et le désespoir. Il y a trop de mouvement. Personne ne fait attention à moi. J’avance. Plus loin, dans une salle d’attente, Binta est assise, les genoux contre la poitrine, le regard hagard. Je m’approche d’elle et m’assois à ses côtés. Elle se lève et se met à marcher de long en large comme si je n’étais pas là. Je la suis tout en mettant une distance entre nous.
- Binta, murmuré-je.
Elle ne me répond pas. Elle a l’air de ne pas m’entendre.
- Binta, répété-je plus fort.
Aucune réponse. Je pousse la porte de sortie et me retrouve dans une forêt. Je tourne la tête pour regarder le bâtiment, il est totalement isolé, ressemblant à une maison abandonnée. De loin, j’aperçois les flammes qui crépitent dans le noir. Pourquoi fait-il sombre ?
Je me dirige vers les flammes. Soudain, la terre se crevasse pour laisser une faille. Je trébuche et tombe dans la faille qui se referme. J’essaye de me lever, impossible. C’est comme si j’avais perdu l’usage de mon corps. Alors que je fais un dernier effort, une alarme m’assourdit.
Je sursaute dans mon lit, essoufflé, trempé de sueur. Je sens un goût amer sur ma langue.
L’infirmière entre. Je vois Binta fermer les fenêtres. Quel bruit ! dit-elle.
- On dirait que tu as bien dormi, dit Binta. J’ai tellement frappé à ta porte.
- Vous vous portez mieux ? renchérit l’infirmière.
- Je ne peux le dire. Je me sens toujours mal.
- La fièvre s’est calmée, dit-elle en regardant le thermomètre. Tout ira bien. Je vous ai ramené un sirop pour calmer votre toux. Ne faites pas d’automédication. Prenez seulement ce qu’on vous donne.
- Ne vous en faites pas pour cela.
Trois jours plus tard, l’espoir renaît peu à peu. La fièvre et la toux ont disparu même si je ressens encore la fatigue et des douleurs musculaires. J’ai commencé à me connecter régulièrement et je regarde les films pour passer le temps. J’attends impatiemment le résultat de mon test.
X
Binta
Ce matin, Ansoumane déambule dans toute la maison. Il se meut comme un bébé content de ses premiers pas. Son rire résonne partout. La lumière éteinte depuis quelques jours brille à nouveau dans ses yeux. Je suis heureuse de la fin de ce mauvais temps. J’ai été presque malade de peur. Je l’ai imaginé mort dans ce pays étranger. J’ai prié, j’ai pleuré. Je faisais la forte devant lui et m’effondrais en coulisse. Mais, peut-être que j’en faisais trop puisqu’il n’était pas hospitalisé avec des malades qui se battent contre la mort ; entre eux et l’au-delà, il n’y a qu’un respirateur. Un pas, juste un pas ! Quelques secondes pour que le souffle s’arrête !
- Ansoumane assieds-toi un peu ! dis-je.
- Non, laisse-moi savourer cette joie.
- Tu devrais attendre les résultats du test, dis-je pour le taquiner.
- Peu importe ma chérie, dit-il en hurlant presque. Le fait que je me sente en forme vaut plus que tout. Imagine ces jours cloué au lit pensant que je vais mourir.
- C’est vrai, dis-je tout bas. I am happy for you.
- Tu as repris ton anglais ?
On rit. Qu’est-ce que ça fait du bien !
Même si la joie d’Ansoumane est contagieuse, je ne suis pas sûre que le résultat sera négatif. Mais je le voudrais tellement ! Autant que lui.
Les heures passent et mon impatience me ronge.
Quand on frappe enfin à la porte, nous échangeons des regards. Je cours ouvrir. L’infirmière rentre, l’air maussade au point qu’Ansoumane sombre soudainement dans le désespoir. Toute sa joie a disparu en un clin d’œil.
- Je peux m’asseoir, demande l’infirmière en faisant la moue. Je suis exténuée.
D’habitude, elle est très joyeuse. A force de nous visiter tous les jours pour le contrôle de température, nous avons fini par sympathiser.
- S’il vous plaît, dis-je en lui montrant le canapé.
Ansoumane nous regarde. Très impatient. Les yeux accrochés aux lèvres de l’infirmière qui prend son temps.
- J’ai vos résultats, dit-elle en regardant Ansoumane.
- Ok, dis-je inconsciemment.
- Le test est….négatif, dit-elle en souriant.
Ansoumane se jette sur elle. Je peux bien voir les émotions de joie et de pleurs sur son visage. L’infirmière le serre dans ses bras, les yeux remplis de larmes. Je comprends qu’elle aurait souhaité que ce miracle arrive à tous les patients de Covid-19. Qu’ils aient une seconde chance de retrouver leur famille. Que leur maison tremble des cris de joie au lieu des pleurs et de l’amertume. Nous espérons tous que le virus disparaisse prestement.
Je prends aussi Ansoumane dans mes bras. On rit comme des fous.
- C’est vrai que vous êtes guéri mais ne relâchez votre attention, dit-elle. Dans la plupart des cas, nous comptons sur la coopération de tous: toujours porter les masques, se laver régulièrement les mains avec de l’eau et du savon ou avec une solution hydro alcoolique, respecter la distance physique et nettoyer les surfaces avec du désinfectant.
- Vous croyez c’est toujours utile de porter les masques ? demande-je.
- Très utile! Surtout pour toi Binta qui n’a pas encore été malade. C’est l’une des mesures préventives les plus importantes ainsi le meilleur moyen de te protéger et de protéger les autres. A ton avis, pourquoi tu n’as pas été contaminée alors que tu vivais avec une personne infectée ?
- Je crois que c’est le masque, dis-je d’un air pensif.
- Vous savez, en parlant ou en toussant, on émet des microgouttelettes qui peuvent contenir le virus si on est malade. Le masque est une barrière pour empêcher le virus d’atteindre les voies respiratoires : le nez et la bouche. C’est une protection à double sens. Ce qui veut dire qu’Ansoumane t’a protégé et tu t’es protégé aussi n portant tous les deux le masque. L’autre prévention couplée au port du masque est le respect de la distance physique qui n’est toujours pas possible ; on est parfois pris au dépourvu. Donc, Il faut toujours le porter jusqu’à la fin de la pandémie.
- Intéressant, dis-je. J’ai bien envie savoir aussi pourquoi on doit souvent se laver les mains.
- Les mains véhiculent tout ce qu’elles touchent : microbes, bactéries, poussières, saletés qui sont posés sur les objets. Je te précise poussières et saletés parce que c’est ce qui est visible. Quand on a les mains sales par la poussière et les saletés, il est naturel de les laver. C’est moins naturel quand il s’agit de virus et de microbes qu’on ne voit pas et qui ne laissent pas de traces. Il faut donc les laver régulièrement et désinfecter les objets et les surfaces.
- J’avoue que ces explications sont d’une très grande aide, dis-je.
- Personnellement, je voudrais savoir comment j’ai pu m’en sortir, dit Ansoumane.
- Tu as dû développer des anticorps super puissants. Tu as de la chance.
- Est-ce que je pourrais être contaminé à nouveau ?
- Je ne pense pas.
- Nous en prenons bonne note, dis-je.
- Soyez vigilants, dit l’infirmière en se levant.
- Au revoir Mademoiselle Humbert, dis-je en sautant du canapé.
Dès qu’elle referme la porte derrière elle, on se remet à rire.
- Finalement, tu es doué ! dis-je.
- Comment ça ? demande Ansoumane
- Tu es passé d’une humeur à une autre alors que tu venais juste de me dire que tu t’en fous des résultats.
- Eh ! on dîne ensemble ce soir ou pas ?
- Bien sûr que oui !
De sa chambre, je l’entends chantonner. Je suis sur mon téléphone lisant les nouvelles.
A Thioloun, la vie reprend petit à petit son cours normal. Les gens sortent prendre de l’air mais le port des masques est obligatoire et la distance physique doit être respectée dans tous les lieux publics. Certains ont toujours peur de sortir et préfèrent travailler à la maison. Finalement la Covid-19 nous apprend que huit heures de travail par jour n’est qu’une torture et qu’on n’a pas tous besoin d’être bureaucrates, pensé-je en haute voix.
- C’est à moi tu parles ? demande Ansoumane.
- Non ! quelqu’un sonne à la porte. Tu peux ouvrir s’il te plaît ?
- J’y vais.
Fredonnant toujours une chanson, il se dirige vers la porte. Quelle bonne humeur !
- La nourriture est là. On passe à table.
- Il est encore tôt mais je suis partante.
- Il est 19 heures, ce n’est pas tôt ça.
Nous nous mettons à table.
- Ce repas est délicieux, dit-il.
Je souris sans commenter, toujours sur mon portable.
- Tiens, dit-il en me tendant une enveloppe.
- C’est quoi ?
- Je n’ai pas regardé. C’est venu avec les plats.
J’ouvre l’enveloppe. Une petite note et deux certificats médicaux qui attestent qu’on est sans danger. Sur la petite note, quelques phrases annoncent qu’on peut rentrer chez nous, à partir de demain.
- Qu’est-ce que c’est ? demande Ansoumane.
- On est libre de partir dès demain, réponds-je en lui tendant les papiers.
- Chez nous ? On est en transit et à ce que je sache les frontières sont encore fermées.
- Oui, mais on ne va pas rester éternellement ici. Ils ont joué leur rôle en nous gardant ici et en prenant soin de nous. Tu n’as plus envie de rentrer ?
- Bien sûr que si ! C’est juste que je ne sais pas comment on va faire avec des frontières fermées.
- Peut-être qu’on doit chercher une auberge et quitter cet endroit.
- Tu oublies que tout est fermé.
- J’ai une autre idée ! peut-être qu’on peut en parler avec les responsables et voir ce que ça donne.
- Pas mal.
- J’y vais.
- Non ! on verra demain. Rien ne presse.
Nous terminons nos repas. Ansoumane débarrasse. On décide de se coucher pour rattraper les nuits perdues même si, pratiquement, ce n’est pas possible.
Dans ma chambre, le sommeil tarde à venir. Je prends un roman placé au chevet de mon lit et commence à lire.
Je me réveille le matin, le livre sur ma poitrine. Pour la première fois, j’étais tombée dans un sommeil sans cauchemar, le premier repos de mon esprit depuis le début de la maladie d’Ansoumane. Les reflets du rayon du soleil brisé à l’angle du mur me font mal aux yeux. Je me lève et ferme la fenêtre pour continuer ma grasse matinée. J’en profite même si je sais que dans quelques heures, on sera les SDF à la découverte de Kankanalo.
XI
Ansoumane
Ce matin, je cogite encore dans mon lit. C’est notre dernier jour avant de quitter cet endroit. J’y ai vécu tellement de choses en si peu de temps. J’avoue que c’était une expérience terrifiante pour moi et peut-être pour tous ceux qui sont contaminés. Mais, j’ai pu m’en sortir grâce à une prise en charge rapide par les autorités d’ici. J’ai eu tellement la chance d’être dans un bon endroit au bon moment. Et j’apprécie énormément ce côté social. Faut dire que c’est un pays des anges.
Je sors de mon lit. Au salon, le soleil commence à réchauffer l’air. La porte de Binta est fermée, sûrement en train de faire ses adieux à son lit. Je vais me préparer un café à la cuisine.
Alors que je sirote mon premier coup, Binta s’approche toute souriante.
- On dirait que l’odeur du café t’a finalement sortie du lit, dis-je.
- Definitely! I would love to have one, répond Binta.
- Profites-en ! Le café se vend dans les rues mais pourrait être coûteux pour les SDF.
On se met à rire.
- Maintenant qu’on en parle, dit Binta, on fait comment ?
- Tu es sensée rencontrer les responsables, non ?
- Oui, on va aller les remercier.
- On fera quoi ensuite ?
- On peut aller à l’Ambassade de Guinée à Kankanalo. Ils peuvent nous aider peut-être.
Une minute de silence s’écoule. Je ne cesse de penser à la raison qui m’a poussé à quitter Sinayah : aider mon pays à lutter contre le coronavirus. Et si cette aventure commençait ici ?
- Tu sais, dis-je à Binta, si on ne peut pas repartir, je voudrais rejoindre le groupe de volontaires pour les soins aux malades et aux confinés et ce, même s’il me reste beaucoup à apprendre en médecine.
- Sérieux ?
- Oui! je suis un survivant, un témoin et un très bon exemple pour encourager ces personnes qui vivent dans la peur. Et je crois qu’en tant que futur médecin, c’est le moment de faire mes preuves.
- Okay, dit Binta, l’air perdu.
- Tu sais, j’ai quitté Sinayah dans le but d’aider à la lutte contre le virus.
- Ce n’était pas pour moi ? dit-elle l’air déçu.
- Bien sûr que oui, dis-je en souriant, tu en fais partie. J’étais inquiet pour toi et jamais je n’allais te laisser toute seule faire ce voyage.
- Tu es sûr de ce que tu dis ? Tu viens de prendre une décision et je n’en fais pas partie.
- Calme-toi ! Rien n’est sûr. Il faut qu’on pose la question aux responsables d’abord.
- S’ils acceptent ?
- Tu iras à l’Ambassade et on rentrera en Guinée dès que les frontières seront ouvertes.
- Tu t’entends parler ?
- Pourquoi faut-il qu’on discute ? demande-je en baissant la tête.
Je ne voulais pas blesser Binta. Elle reste silencieuse et joue avec le contour de la tasse.
- C’est ton choix, dit-elle finalement et je t’encourage.
- Vraiment ?
- Tu viens de faire preuve de leadership en prenant cette décision. On va se consacrer à aider les autres d’ici l’allègement des mesures.
- Tu veux dire que…..tu vas te joindre à moi, dis-je en bégayant.
- Qu’est-ce qu’on ne donnerait pas pour chasser ce terrible virus, dit-elle, en me faisant un clin d’œil.
Une heure plus tard, nous sommes dans la salle d’attente du Responsable du site. Sur un tableau en bois, il est inscrit « K-Care Center ». A côté, se trouve la photo d’un médecin portant un chapeau et un masque. On ne peut vraiment pas savoir s’il sourit ou pas. Mais, on sent l’inquiétude, la fatigue, la persévérance…
- C’est un tableau offert par l’un de nos volontaires, dit une voix féminine dans mon dos.
Je me retourne et vois Mademoiselle Humbert qui arrive, très joyeuse comme toujours. Elle s’est arrangée pour nous introduire chez le responsable sans perdre de temps. Il a suffi qu’on lui passe un coup de fil avec l’interphone installé au salon dans notre appartement.
- J’ai cru que c’était une photo ?
- C’est un tableau peint, dit-elle.
- Quel talent, s’impressionne Binta.
- C’est juste magnifique, dis-je.
Nous nous dirigeons vers le bureau du Responsable, je vois les yeux de Binta pétiller.
- Qu’est-ce qui t’arrive ?
- Le contraste des couleurs.
- Je me sens perdu, dis-je en souriant.
- Évidemment ! ce n’est pas ton domaine.
- Tu me donnes envie de prendre les cours de culture et communication.
- Chut! on est arrivé.
Le responsable est ravi de notre décision et nous informe que nous pouvons rejoindre le groupe dès aujourd’hui. Il n’a pas manqué de nous dire que c’est la plus belle façon de les remercier.
Ainsi, nous intégrons le groupe des volontaires.
Chaque jour, Binta raconte des histoires et fait la lecture à des enfants. Elle organise aussi des activités créatives avec eux et ils réalisent des dessins magnifiques. Elle distribue de la nourriture aux personnes confinées. Quant à moi, je travaille aux côtés de Mademoiselle Humbert. Nous accueillons les nouveaux venus et les plaçons dans les appartements. J’effectue souvent les prises de température et donne les médicaments recommandés aux malades. A tout moment, je raconte mon histoire et ça réconforte bon nombre de patients.
Il y a deux jours, à l’hôpital, Mademoiselle Humbert m’a montré un patient d’une soixantaine d’années qui a des complications respiratoires. Plongé dans le coma, le respirateur dans la bouche et dans le nez, on sent juste le mouvement de sa poitrine et le tableau nous rassure qu’il est encore en vie. Elle m’a dit ensuite que les patients meurent souvent des complications respiratoires graves et qu’elle ne compte que sur un miracle pour que celui-ci s’en sorte.
- Ta jeunesse t’a beaucoup aidé, me dit-elle en tapant mon épaule. Les jeunes résistent mieux au virus.
Je réponds de la tête, les yeux rivés sur le patient comme si j’espérais une toux pour accourir, heureux qu’il soit enfin réveillé.
XII
Binta
Un nouveau jour vient de se lever. J’ai hâte de rejoindre les enfants. Avec eux, j’oublie tous mes soucis même la covid-19. Finalement, je crois que c’est une bonne idée de rester ici en attendant l’ouverture prochaine des frontières.
Depuis une semaine, beaucoup de choses ont changé en moi. Mon cœur est paisible même si je pense souvent à ma famille et surtout à mon garçon aussi innocent que ces enfants que je côtoie tous les jours.
Ce matin, j’échange avec mon père, ma mère et mon fils au téléphone.
- Tout va bien ? demandé-je.
- Oui, nous allons tous bien.
- Ça me rassure.
- L’inquiétude grandit quand même, dit mon père. La Guinée enregistre de nouveaux cas positifs et des décès. Bon nombre de personnes n’y croient pas. Elles pensent que c’est une histoire montée de toutes pièces.
- S’ils pouvaient voir ce qui s’est passé ici, dis-je.
- Et toi, tu vas bien ma fille ? demande ma mère.
- Je vais bien maman.
- Tu me manques Tantie, dit mon garçon.
- Oh tu me manques aussi chéri. J’arrive bientôt.
Je raccroche mon téléphone et je me dirige vers l’espace « Kids ». A l’entrée, il y a tout un protocole à respecter : lavage des mains, prise de température et désinfection des habits qu’on porte. Ils ont mis en place une petite cabine ressemblant au scanner de sécurité. Dès qu’on y met les pieds, une fine brume désinfectante est projetée sur vous pendant quelques secondes. Tout se passe sous l’instruction d’un agent qui s’assure également que le masque est bien porté.
Aussitôt arrivée, les enfants accourent.
- Madame Bin disent-ils en chœur.
Et voilà c’est mon nom après Koloun.
- Distance physique, crie l’un d’entre eux.
Ils s’arrêtent tous presqu’en même temps.
- Bonjour les enfants ! dis-je en souriant.
- Bonjour, répondent-ils.
- On se lave les mains avant ?
Nous nous dirigeons vers le lavabo installé dans la cour. A tour de rôle, ils se lavent les mains. Nous nous mettons sur les nattes en coton. La veille, j’avais demandé à chacun de dessiner ses parents. Ils sont tous pressés de me montrer leurs dessins. Il y’en a un qui est moins enthousiaste. Je viens vers lui et prends son dessin. Je vois un homme couché, une femme debout à côté et un enfant.
- Ce sont tes parents Karim ? lui demandé-je.
- Oui, papa est tombé et depuis il n’est pas revenu. Je ne vois pas maman non plus.
Mon cœur se serre. J’essaye de lui poser quelques petites questions et je parviens à obtenir le nom de sa mère.
Je rassure Karim que ses parents seront bientôt de retour. Je contacte Ansoumane pour demander de l’aide.
- Tu vas bien Ansoumane ? demandé-je.
- Oui, ça va.
- Ta voix ne me rassure pas.
- Je suis juste un peu fatigué et……
- Tu pleures ?
- Nous avons perdu un patient aujourd’hui. Celui dont je t’avais parlé.
- Je suis désolée.
- Ainsi va la vie.
- Sois fort. Tu rentres ce soir, on va dîner ensemble.
- Je crois que je vais rester ici pour le moment. Il y a tellement de cas graves qui arrivent.
- D’accord. Mais tu sais que tu ne le supportes pas. Je pense que tu devrais revenir au Centre pour t’occuper des confinés.
- Je vais m’y faire ma puce.
- Bon, je souhaite que tu recherches les parents d’un petit garçon pour moi. Je t’envoie les infos par SMS. Tu me diras s’ils sont à l’hôpital là-bas ou confinés.
- Tu devrais faire un tour ici pour qu’on se voie. Ce n’est pas loin quand même.
- Je te tiendrai au courant.
Une heure plus tard, Ansoumane m’informe que le père de Karim fait partie de ces patients dont la vie est accrochée aux respirateurs. Sa mère également testée positive est confinée. Le service enfant était obligé de les séparer.
Que faire d’autre que de réconforter Karim en le lui faisant réaliser des dessins d’une famille réunie et heureuse.
Quand midi arrive enfin, il est temps que les enfants aillent manger et se reposer. En me dirigeant vers la cantine, je croise le Responsable.
- Salut Binta, dit-il avec son accent teinté d’anglais.
- Bonjour M. Martin.
- Ça se passe bien avec les enfants.
- Oui très bien, ils sont tellement adorables.
- Parfait ! Vous faites du bon travail, ton cousin et toi.
- Je vous en prie ! Il y a un vol spécial qui ira en Guinée dans deux jours. Nous avons des ressortissants qui veulent rentrer.
- Vraiment ?
- Si ça vous intéresse, je vous mettrai dans le groupe des volontaires médecins qui doivent réagir en cas de personnes malades.
- Vous ferez ça pour nous ?
- Pourquoi pas ?
- Je vais informer mon cousin ce soir. On laissera un message à mademoiselle Humbert.
- Faites vite donc.
Je devrais être heureuse mais je suis triste. Les images de mes séances avec les enfants défilent dans ma tête. Je me suis tellement habituée à eux et à cet endroit en si peu de temps.
J’ai l’impression que je suis en train de les abandonner. Mais, n’ai-je pas promis à mon fils que je rentrais bientôt ?